12/28/2006

Prostitution: liberté sexuelle ou consommation de sexe?

Depuis des siècles, la prostitution est un des piliers fondamentaux de la domination masculine. Elle participe (symboliquement et concrètement) à l’enfermement de la sexualité des personnes dominées dans le sordide système dépendance-honte-soumission et bannit toute aspiration au plaisir pour ces dernières au profit de la volonté de toute puissance des individu-e-s qui préfèrent payer plutôt que prendre le risque d’entrer dans des relations sexuelles égalitaires. Elle entérine l'idée selon laquelle seules les personnes de genre masculin éprouvent un réel intéret pour les activités sexuelles alors que les personnes de genre féminin y consentent dans l'attente de la réalisation d'un but secondaire. En effet, même si les prostitué-e-s ne se reconnaissent pas tou-te-s dans la catégorie "femme", elle-il-s s'identifient rarement comme appartenant à une catégorie de genre "masculin". Ce qui n'est pas le cas des client-e-s.

Dans la prostitution le patriarcat, le puritanisme et le capitalisme interagissent pour se renforcer les uns les autres.

Selon les schémas du patriarcat, un homme se définit par lui-même, sa sexualité n’aura pas d’incidence majeure sur son identité, par contre une femme se définit par rapport aux hommes, et sa sexualité conditionnera l’identité que la société lui accordera.
Sous l'Antiquité à Rome et en Gréce, la prostitution était encouragée pour préserver la famille patriarcale.
Le système patriarcal et puritain construit, pour se pérenniser, des carcans identitaires auxquels les femmes doivent se conformer. Ils se divisent en deux grandes catégories: la femme «purifiée» qui appartient à un seul homme, est lavée de son «impureté originelle» en accédant au rôle sacralisé de la mère qui «enfante» dans la douleur, et celle qui est «impure», appartient à tous les hommes et sert de réceptacle aux pulsions sexuelles des dominants afin de préserver la «vertu» de l’autre femme.

Objets sacralisé ou méprisé, on les oppose alors qu’elles sont les deux facettes de la même femme aliénable ou aliénée, jamais propriétaire d’elle même.

Il existe de multiples formes de relations prostitutionnelles qui ne sont pas reconnues comme telles (ex: dépendance économique et "devoir conjugal" des "femmes au foyer"). La prostitution participe à leur maintient au travers des représentations qu’elle véhicule par sa simple existence.

Dès le Moyen Âge l’Eglise est favorable à la prostitution. « « Supprimez les prostituées, disait saint Augustin, vous troublerez la société par le libertinage. » Et plus tard saint Thomas [...] déclare: « Retranchez les femmes publiques du sein de la société, la débauche la troublera par des désordres de tous genre. Les prostituées sont dans une cité ce qu'est le cloaque dans un palais: supprimez le cloaque, le palais deviendra un lieu malpropre et infect. » »*. « Et Mandeville dans un ouvrage qui fit du bruit: « Il est évident qu'il existe une nécessité de sacrifier une partie des femmes pour conserver l'autre et pour prévenir une saleté d'une nature plus repoussante. » »**. En réalité, l’idéologie puritaine rejette davantage la liberté sexuelle que la prostitution car cette dernière lui sert d’exutoire. Elle a tout intérêt à entretenir la confusion entre les deux pour occulter l’existence potentielle ou vécue d’une jouissance inaliénable. On peut constater que l’Eglise a réussi son entreprise de conditionnement mental durable et profond car la prostitution remplit toujours son rôle de force de répression contre la libération des dominé-e-s en introduisant le mythe d'une vénalité "naturelle" et le sentiment de culpabilité dans leur sexualité.
Au contraire, la véritable liberté sexuelle fait de la jouissance de chaque personne une fin en soi et exclut tout rapport de domination.

On ne peut pas défendre la liberté sexuelle en se satisfaisant de la notion de consentement (qui d’ailleurs convient parfaitement à la justice bourgeoise). Il est très (trop) fréquent qu'une personne consente à avoire une relation sexuelle, non pas parce qu'elle en éprouve le désir mais parce qu'elle pense qu'elle le doit, ou estime ne pas pouvoir s'y soustraire sans prendre de risques qu'elle ne saurait assumer.

Elene Vis, fondatrice de «l'école du sexe» au Pays-Bas déclare à ses élèves «Vous pouvez parler de techniques de vente. Vous devez vous vendre et peu importe qu'il s'agisse de votre propre corps ou d'aspirateurs. Le principe est le même».
Les «travailleu-se-r-s du sexe» qui réclament la règlementarisation de la prostitution déclarent souvent ne pas vendre leur corps mais un «service sexuel». Ce «service» se traduit quoiqu'il en soit par une mise à disposition du corps. Une sorte de location, comme si le corps d'une personne était un objet extérieur à elle-même. Et c'est à ce rapport détaché à leur propre corps que les prostitué-e-s sont contraint-e-s de se soumettre pour satisfaire les exigences de leurs client-e-s. Ce rapport d'extériorité au corps est banalisé car profondément intégré dans les mentalités. Il influence les prises de position des réglementaristes qui accusent les abolitionnistes de «puritanisme». Il est pourtant le fruit du conditionnement mental puritain qui consiste à séparer ce qui est supposé être «le corps» de ce qui est supposé être «l'esprit» en les plaçant dans un rapport hiérarchique. Puisque le corps est jugé «inférieur», il peut alors servir d'ustencil, d'outil de travail.
Cette dichotomie hiérarchique entre «l'esprit» et «le corps» agit également dans les souffrances psychiques suite à un viol et dans la boulimie-anorexie (sous des formes très différentes évidemment).

D’autre part, au travers de la pornographie commerciale dite «professionnelle», de la publicité sexiste et des différentes formes de prostitutions, le capitalisme a intérêt à faire passer la consommation de sexe pour la liberté sexuelle. Accepter qu’un acte sexuel puisse être un «service» rendu moyennant une certaine somme revient à accepter l’idée selon laquelle les dominé-e-s peuvent «naturellement» s’abstenir de rechercher le plaisir pour e-lles-ux-mêmes. C’est accepter que la sexualité puisse être un produit qui se vend et non un plaisir qui se partage.

Le mot «travail» signifie «instrument de torture». En fait, il s'agit d'une activité plus ou moins socialement utile qui se voit transformée en contrainte, en obligation de fournir des efforts, par le capitalisme via le salariat et les rapports marchands. Pour que le travail soit aboli, il faudrait que les activités utiles soient distribuées et exercées dans une dynamique de partage et de gratuité et dans le respect des besoins et des désirs de chacun-e. Non dans un maintien des rapports marchands qui, eux, sont basés sur une logique d'échange. Donc, nous ne sommes pas d'accord avec l'idée selon laquelle dans une «société idéale» où l'argent n'existerait plus, on pourrait échanger trois fromages de chèvre ou une réparation de chaudière contre une félation ou un cunilingus. Il ne suffit pas de dire qu'on est anticapitaliste pour l'être réellement. Si on dit, d'un côté qu'on est anticapitaliste, et de l'autre que les rapports marchands (quand il s'agit de sexe... comme par hasard) c'est formidable, du moment que c'est «un choix», on est dans une totale contradiction. La prostitution, c’est l’aliénation de la sexualité par le capitalisme!

Elle ne représente aucun danger pour le système. Au contraire, elle sert les intérêts du patriarcat du puritanisme et du capitalisme et le fait avec une efficacité redoutable lorsqu’elle se revendique «librement choisie».

La loi sarkosy contre le «racolage passif» criminalise les personnes prostituées. L’écrasante majorité d’entre elles n’ont pas choisi de se prostituer parce qu’elles en éprouvaient le désir, mais pour survivre en espérant que cette situation sera temporaire.
Pourtant ce n’est pas à elles que les médias capitalistes et machistes ont donné la parole au moment de la promulgation de cette loi, mais à des commercial-e-s du sexe.
Cette catégorie ultra minoritaire de prostitué-e-s qui s’inscrit dans une démarche règlementariste et non pas révolutionnaire, revendiquent le titre de «travailleu-se-r-s du sexe» et souhaitent intégrer en «honnêtes commerçant-e-s» l’économie de marché. Leur argument central est que la prostitution serait majoritairement un «choix professionnel», qu’il faudrait renoncer à combattre sous peine d’être accusé-e-s d’intolérance. C’est ce que pensent également les anti-féministes qui, comme Elizabeth Badinter, se font passer pour des féministes…
On entend souvant «Si elles déclarent que c'est un choix, où est le problème?». D'une part elle-il-s sont minoritaires à déclarer que «c'est un choix» et s'expriment pourtant au nom de tou-te-s, d'autre part, quand bien même elle-il-s ne le seraient pas, qu'entendons-nous par «c'est un choix»?

Dans le cas d'un objet, «l'essence – c'est à dire l'ensemble des recettes et des qualités qui permettent de le produire et de le définir – précède l'existence» (J-P Sartre). Le concept «table» précède et conditionne la fabrication de tables. Pour les humain-e-s, l'existence précède l'essence car les dieux qui nous auraient fabriqué-e-s n'existent pas. «Il n'y a donc pas de nature humaine puisqu'il n'y a pas de dieu pour la concevoir» (J-P Sartre). Nous existons d'abord, nous nous définissons ensuite par l'ensemble de nos actes. Chaque personne est donc responsable de ce qu'elle est car elle n'est pas les oppressions qu'elle subit ni l'un de ses actes isolé des autres. Elle est ce qu'elle-il se fait être dans et face aux limites qui lui sont imposées par le contexte dans lequel elle se trouve (limites temporelles et spaciales, économiques et sociales, etc...). Elle est son propre projet. Le fait d'être conscient-e-s nous place en face d'une obligation permanente de procéder à des choix. C'est cette obligation de choix qui nous plonge dans l'angoisse lorsque nous prenons conscience que nous sommes responsables de nous-même. Il n'y a ni dieux, ni «nature» pour nous trouver des excuses et choisir, à notre place, de nous faire accomplire tel acte plutôt que tel autre. Pourtant, nous sommes responsables de nous-même précisément parce que, comme l'existence précède l'essence, nous sommes potenciellement libres. La plupart des choix sont des choix par dépit, certains choix sont motivés par des raisons qui ne sont pas clairement identifiées par la personne elle-même (bien que ces raisons lui appartiennent). Et, plus rarement (malheureusement) nous estimons avoir l'opportunité de choisir par désir. Tout acte humain est donc le résultat d'un choix, mais ce choix est la plupart du temps un choix par dépit, un consentement sans désir. C'est là, la limite de l'intérêt du terme «consentement».

Il y a une énorme différence entre la majorité des prostitué-e-s et les «travailleu-se-r-s du sexe». Ces dernier-e-s, en faisant l'apologie de la prostitution, font là un choix idéologique et politique libéraliste et non libertaire, de la propagande par l'acte contre la liberté sexuelle. Nous ne faisons aucun amalgame et nous pensons que nous devons être solidaires avec les prostitué-e-s.
L'expression «liberté de choix» avancée dans les discourts règlementaristes sonne creu... Celle de «liberté de choix par désir» correspond davantage à la position abolitioniste découlant d'une analyse libertaire de la prostitution.
Au travers de l'utilisation de l'argument de la «liberté de choix» apparaît une confusion entre la définition de la liberté dans la doctrine libéraliste et la définition de la liberté selon la pensées anarchiste. Pourtant, d'un côté on s'inscrit dans un système de compétitions et de performances qui répartie les possibilités d'exercer le libre arbitre de manière inégale (justifié très souvant par le recours à la réthorique de la «différence»). De l'autre côté on estime que la véritable liberté, celle pour laquelle on se bat, ne peut s'accomplire que dans l'égalité économique et sociale inconditionnelle.
Certain-e-s «humoristes» des «milieux libertaire» déclarent souvent, après avoir ingurgiter un nombre conscéquent de bières, «vive la prostitution libre et gratuite!». En fait, c'est intéressant car si la prostitution était «libre et gratuite» elle ne serait plus la prostitution. Elle deviendrait même le contraire de ce qu'elle est. D'ailleurs, lorsque certain-e-s «travailleu-se-r-s du sexe» déclarent choisir leurs client-e-s et prétendent aimer «le sexe», on peut se demander pourquoi elle-il-s ne choisissent pas plutôt des partenaires sexuel-le-s.

L’état français se prétend abolitionniste alors que sa politique est un mélange de règlementation (prélèvement d’impôts sur les revenus de la prostitution qui condamne les personnes à une rentabilité accrue) et de prohibition (lois contre «le racolage passif»). La confusion entre abolitionnisme et prohibitionnisme est récurente dans les discourts réglementaristes (qu'ils émanent des «travailleu-se-r-s du sexe» ou pas). Si aucun pays n'applique véritablement une politique abolitionniste c'est justement parce que l'abolitionnisme ne peut, en fait, se concevoire que dans une démarche libertaire révolutionnaire. Alors que le prohibitionnisme, comme le réglementarisme découlent logiquement de tout système étatique et/ou capitaliste.

Un des arguments du réglementarisme est basé sur la croyance en une amélioration de la situation sociale et sanitaire des prostitué-e-s. En réalité, il impose aux personnes un contrôle médical accompagné d’une inscription sur les registres policiers. Il fait le jeu du proxénétisme et les prostitué-e-s préfèrent majoritairement la clandestinité à l’étiquetage administratif, ce qui les rend encore plus exclu-e-s et vulnérables.
Une des revendications des associations de "travailleu-se-r-s du sexe" est la légitimation de la prostitution.
L'association parisienne "LesPutes" par exemple, proposent la création d’une école européenne qui formerait des «expert-e-s», c'est-à-dire des personnes dont les compétences sexuelles seraient supérieures à celles des autres. Ceci ne peut que renforcer la présence, déjà envahissante, des notions de performance, de compétition et de concurrence dans la sexualité, ce qui correspond à une conception de la liberté sexuelle libéraliste et non libertaire.

Par ailleurs, cette association ne remet pas du tout en question la soi-disante utilité de la police en exigeant de pouvoir bénéficier de sa protection. Elle semble ignorer que dans le cadre de la réglementarisation les flics exercent des pressions sur les prostitué-e-s (viol, passage à tabac, vol, complicité avec les mac) et sont souvent eux-mêmes de véritables proxénètes. Les politiques réglementaristes et prohibitionnistes sont présentées comme opposées, pourtant leurs effets se ressemblent...

Les «travailleu-se-r-s du sexe» défendent leurs intérêts corporatistes et ont rarement besoin de prendre le risque de faire du "racolage passif" pour trouver des client-e-s... Leur démarche mercantile est claire lorsqu'elle-il-s reprochent aux prostitué-e-s sans-papier de faire baisser les prix. Bien sur, leur technique de communication en markéting est subtile car elle-il-s se déclarent solidaires des sans-papier afin de s'attirer la sympathie des naï-ve-f-s bien-pensant-e-s terrorisé-e-s par la fameuse insulte d'extrémiste (pour ne pas dire de terroriste...) "intolérant-e-s", quand ce n'est pas celles de "sexiste"ou "puritain-e-s"... Confondant là encore abolitionnisme et prohibitionnisme.

Vivons-nous sur la même planète lorsque sous prétexte de pragmatisme et au non de la sacro-sainte "tolérance" certain-e-s idéalisent les effets de ce contre quoi elle-il-s prétendent se battre? Tolérons-nous les «choix proffessionnels» des autres individu-e-s exerçant d'autres métiers socialement nuisibles tels que flic ou notaire?

Imaginons que la prostitution soit reconnue comme profession libérale, salariale ou artisanale. Bientôt nous pourrions voir, comme en Allemagne, l’ANPE imposer aux chomeu-se-r-s en fin de droit des postes de «travailleu-se-r-s du sexe».

Donner un statut professionnel aux "travailleu-se-r-s du sexe" c' est reconnaître une utilité sociale à la prostitution, c'est adhérer à la morale puritaine, à la marchandisation et au patriarcat.
Quelques dizaines de "travailleu-se-r-s du sexe" regroupé-e-s dans ces associations règlementaristes et légitimistes revendiquent ce statut.

Médiatiquement et politiquement ces revendications occultent une réalité du phénomène prostitutionnel qui intéresse la grande majorité des victimes de l’exploitation sexuelle.
Le mot est lâché: victime.
En effet il est dangereux et intellectuellement malhonnête de contribuer à renforcer une idée déjà trop largement répandue selon laquelle «elle-il-s aiment ça» et «elle-il-s ont choisi librement».
La pointe de l’iceberg cache la sordide réalité du vécu concret des prostitué-e-s. Croire que la règlementarisation étoufferait l’exploitation sexuelle, c'est non seuleument oublier ce que signifit le mot «travail», et c’est aussi faire abstraction de la traite de centaines de milliers de personnes dont certaines sont des enfants, de l’aspect internationale de la prostitution et des profits financiers qu’elle génère.

Lorsque le capitalisme, le puritanisme et le patriarcat auront été abolis, la prostitution sous toutes ses formes aurra disparue!

Alors battons nous pour de meilleurs droits pour tou-te-s, mais des droits liés aux personnes et non à la prostitution (ni même au travail d’ailleurs), pour une égalité économique et sociale inconditionnelle!

Solidarité avec l'énorme majorité de prostitué-e-s qui n'ont rien à voir avec ces "travailleu-se-r-s de sexe"!

Des papiers pour tou-te-s les sans-papiers!

Abolition du salariat et de tous les rapports marchands!

Education à la liberté sexuelle affirmant la valeur inaliénable de la sexualité de chaque personne!

Développement d'un art "sexographique"***antisexiste et anticapitaliste avec des act-rice-eur-s (non rémunéré-e-s) qui réalisent leurs désirs et se font plaisirs!

*Simone de Beauvoir ''Le deuxième sexe'' Tome1

**Simone de Beauvoir ''Le deuxième sexe'' Tome2

***Dans "pornographie", "porno" signifie "prostituée" donc, puisque les mots sont des vecteurs incontournables du conditionnement mental le terme de "sexographie" inventé par le collectif anti-sexiste Mix-Cité semble plus aproprié.

Pour approfondir la réflexion:

L'article de Mona Chollet intitulé "Prostitution: les pièges du pragmatisme" (malgré un petit désacord concernant le rapport prostitutionel dans le mariage à l'époque où Simone de Beauvoire a écrit le Deuxième Sexe, qui est comparable, de nos jours, à la situation de "femme(ou homme) au foyer"): ICI

L'excellent téléfilm anglais en deux parties du réalisateur David Yates "Sexe Traffic"qui bien loin de s'appesantir sur les violences subies par les victimes des réseaux prostitutionnels, dénonce la colluson entre mafias de tout crin et consortiums économiques occidentaux.

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